En tant qu’ambassadrice de la campagne "Ensemble pour les droits" de la Commission européenne, je porte cette tribune comme un appel à l’action : il est temps d’ouvrir les sphères de pouvoir aux personnes handicapées. C’est bien plus qu’une question de droit, c’est une condition indispensable pour bâtir une Europe réellement inclusive et résolument tournée vers l’avenir.
En cette Journée internationale des personnes handicapées, braquons les projecteurs sur un enjeu majeur souvent négligé : permettre aux personnes handicapées de jouer un rôle actif et influent dans les sphères décisionnelles, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales.
Le leadership, dans ce contexte, ne se limite pas à occuper des postes, mais implique de peser sur les choix, d’orienter les stratégies et de contribuer pleinement à bâtir une société équitable et durable. Le thème de cette année, "Amplifier le leadership des personnes handicapées pour un avenir inclusif et durable", rappelle l’urgence d’agir.
Un leadership sous-représenté, des résultats insuffisants
Les données existantes révèlent une réalité accablante : la présence des personnes handicapées dans les espaces de pouvoir reste marginale. En France, entre 2020 et 2024, une seule personne handicapée aurait été élue au Sénat, trois à l’Assemblée nationale, quatre aux conseils départementaux, et 67 aux conseils municipaux. Au Royaume-Uni,
on compterait 6 représentants handicapés au Parlement écossais, 1 à l’Assemblée galloise et 8 à Westminster. À l’échelle européenne, seulement 2 % des dirigeants déclarent vivre avec un handicap.
Le tableau est tout aussi sombre sur le marché du travail en Europe : le taux d’emploi des personnes handicapées stagne à 50,8 % depuis 2014, loin des 75 % des non-handicapés. De plus, environ 800 000 citoyens européens en situation de handicap se trouvent exclus du processus démocratique en raison d’obstacles persistants : documents inaccessibles, infrastructures inadaptées ou lois privatives pour les personnes sous tutelle.
Ces chiffres témoignent de l’échec des politiques européennes déployées depuis plus d’une décennie. Malgré des stratégies affirmées, les barrières structurelles restent omniprésentes : stéréotypes ancrés, financement insuffisant, manque de données harmonisées, et infrastructures peu accessibles. En France, seules 8 % des personnes handicapées accèdent à des postes de cadre, contre 18 % des non-handicapés. La situation est encore plus alarmante dans des pays comme l’Allemagne (6 %) ou les Pays-Bas (5 %), et même les pays nordiques, souvent cités en exemple, peinent à atteindre 10 %.
Sans données fiables ni indicateurs communs à l’échelle européenne, comment évaluer les progrès réalisés ou cibler les priorités ? Et sans investissements dans l’accessibilité – bureaux de vote, lieux de travail ou transports – comment garantir une participation pleine et entière des personnes handicapées à la vie publique et économique ?
Changer de paradigme : dépasser les annonces, libérer les talents
Cette marginalisation n’est pas liée à un manque de compétences, mais bien à des préjugés persistants et à une absence de volonté politique. Une étude d’Odoxa indique que 74 % des Européens considèrent que les personnes handicapées font face à davantage d’obstacles dans des postes de direction, tandis que 53 % les perçoivent comme difficiles à intégrer au travail. Ces idées reçues alimentent l’autocensure et limitent les aspirations de nombreux
citoyens handicapés.
Pour surmonter ces freins, il ne suffit plus de multiplier les annonces symboliques. L’heure est venue de passer à des actions concrètes et coordonnées pour transformer les discours en résultats tangibles :
1. Renforcer les politiques contraignantes et garantir leur mise en œuvre
Des initiatives comme la directive européenne sur l’accessibilité, adoptée en 2019, restent largement inappliquées dans de nombreux États membres. Il est crucial d’imposer des échéances strictes, de renforcer les mécanismes de contrôles et de sanctions, et d’allouer un budget spécifique pour accélérer la mise en conformité avec la Convention des droits des personnes handicapées de l’ONU. Avec seulement 2,2 % du PIB européen investis dans le handicap, les ressources actuelles sont largement insuffisantes face aux coûts sociaux et économiques de l'inaccessibilité.
2. Financer l’accès au leadership
L’accès au leadership nécessite des moyens concrets pour répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées : technologies d'assistance, interprétation en langue des signes, transports adaptés, et autres outils essentiels. Ces dispositifs ne sont pas des privilèges, mais des conditions préalables indispensables pour garantir une participation pleine et entière aux processus décisionnels.
3. Promouvoir des leaders handicapés visibles
La visibilité est un levier puissant pour briser les stéréotypes. Les institutions publiques, les entreprises et les médias doivent activement mettre en avant des modèles inspirants de leaders handicapés. Montrer ces réussites dans tous les secteurs transforme les perceptions sociales et ouvre la voie à une société où les talents de chacun sont valorisés.
4. Amplifier les initiatives existantes pour un changement durable
Des campagnes comme « Ensemble pour les droits », de la Commission européenne portée par 27 ambassadeurs à travers l'Europe, sont des exemples prometteurs de mobilisation collective. Cependant, leur impact reste limité par un manque de financements et de structuration. Une dotation spécifique est nécessaire pour soutenir ces efforts, maximiser
leur portée et renforcer les alliances avec les autres acteurs engagés dans l'inclusion.
5. Changer les mentalités dès le plus jeune âge
L'inclusion doit devenir une évidence dès l'enfance. Intégrer des modules sur la diversité et l'acceptation dans les programmes scolaires contribuera à déconstruire les préjugés et à préparer les nouvelles générations à bâtir une société authentiquement inclusive.
Inclusion et leadership : un impératif moral, social et économique
Amplifier le leadership des personnes handicapées dépasse la simple question des droits humains. C’est une opportunité économique, sociale et stratégique pour l’Europe. Les entreprises inclusives enregistrent 28 % de meilleures performances que celles qui ne le sont pas, selon des études récentes. Ces chiffres démontrent que l’inclusion stimule l’innovation, améliore la productivité et renforce la cohésion sociale.
Investir dans l’inclusion, c’est investir dans une Europe compétitive, résiliente et tournée vers l’avenir. En libérant le potentiel inexploité de 101 millions de citoyens européens handicapés, nous construisons une société plus équitable et économiquement performante.
En tant qu’ambassadrice de la campagne « Ensemble pour les droits » et fondatrice de l’AHADI Foundation, dédiée au leadership des femmes handicapées en Europe et au-delà, je suis témoin chaque jour de l’impact transformateur des initiatives qui valorisent ces talents. Notre programme prouve que l’inclusion n’a aucune limite lorsque des actions concrètes et des soutiens structurés sont mis en place.
Cependant, cela ne suffira pas sans une action résolue et coordonnée à l’échelle européenne. L’Union européenne et ses États membres doivent adopter des mesures ambitieuses, allouer des ressources dédiées et faire de l’inclusion et du leadership des personnes handicapées une priorité absolue.