Les femmes handicapées en Afrique font face à de nombreux obstacles lorsqu'il s'agit de participer activement à la vie politique et de revendiquer une place de pouvoir. Ces obstacles, qu'ils soient structurels, sociaux ou légaux, sont exacerbés par des violences fondées sur le genre et le handicap. Toutefois, des progrès sont réalisés grâce à des cadres législatifs et des initiatives visant à améliorer leur participation, bien que la route vers une inclusion réelle demeure semée d’embûches.
Cadre institutionnel et juridique : Des avancées timides
À l’échelle régionale, plusieurs instruments juridiques ont été adoptés pour protéger les droits des femmes handicapées, notamment l’article XXII du Protocole de Maputo (2003) et le Protocole africain sur le handicap (2018) de l’Union africaine. Cependant, leur impact reste limité. Le Protocole de Maputo, ratifié par 44 des 55 États membres, manque d’une définition claire des discriminations liées au handicap, entraînant des interprétations variables qui limitent son application. Bien qu’il vise à promouvoir les droits des femmes, il reste largement inappliqué pour les femmes handicapées. Le Protocole africain sur le handicap, bien qu’il définisse précisément les discriminations, est freiné par un faible taux de ratification : seuls 15 États membres l’ont adopté.
Au Kenya, un quota de 5 % pour les personnes handicapées au Parlement a été instauré. Cependant, en février 2023, aucune femme handicapée n’y avait encore été élue. Au Rwanda, la Constitution de 2003 garantit un quota de 30 % de femmes dans les institutions politiques et réserve des sièges aux personnes handicapées : 1 à la Chambre des députés et 8 au Sénat. Malgré cela, aucune femme handicapée n’avait obtenu de siège parlementaire avant 2024, avec l’élection d’Olivia Mbabazi. En Ouganda et au Zimbabwe, des quotas similaires ont été adoptés. Le Zimbabwe se distinguant avec un quota spécifique pour les femmes handicapées, incluant les conseils provinciaux et métropolitains.
Malgré ces progrès, les sièges réservés aux personnes handicapées restent insuffisants pour influer significativement sur les politiques publiques. De nombreux pays africains manquent encore de mécanismes garantissant une participation effective des femmes handicapées à la vie politique, reflétant un manque de volonté politique. Dans certains cas, elles sont juridiquement exclues, comme au Kenya, en Ouganda ou au Cameroun, où les femmes ayant des handicaps intellectuels ou psychosociaux sont interdites d’inscription sur les listes électorales ou privées de documents légaux, les empêchant ainsi d’exercer leur droit de vote. Une telle situation ne se limite pas à l’Afrique, mais se retrouve également en Europe, comme le souligne notre tribune du 3 décembre 2024.
Violence et stigmatisation : Des obstacles majeurs à l'engagement politique des femmes handicapées en Afrique
La stigmatisation généralisée, alimentée par des mythes et des stéréotypes profondément enracinés, continue d'entraver la participation politique des femmes handicapées. Au Nigeria, par exemple, l’IFA a révélé que très peu de femmes handicapées osent se présenter aux élections. Celles qui tentent l’expérience échouent souvent à franchir les premières étapes, victimes de préjugés sur leur capacité à diriger. Cette invisibilité dans la sphère publique renforce leur marginalisation et limite leurs opportunités d'influencer les décisions politiques.
Les violences accrues qu'elles subissent en raison de leur statut de femmes et de personnes handicapées dissuadent ces dernières à s’engager en politique. Alors que la violence contre les femmes en politique (VAWP) est un problème profondément enraciné en Afrique, touchant environ 80 % des parlementaires africaines, selon une enquête de l’Union interparlementaire (UIP) menée en 2021, les femmes handicapées sont encore plus susceptibles de subir de telles violences. Bien qu'aucune étude spécifique ne soit disponible sur les femmes handicapées en politique, des recherches montrent qu'elles sont beaucoup plus exposées aux violences que leurs homologues non handicapées, suggérant une intensification des risques dans le contexte politique. Selon un rapport des Nations Unies, les femmes handicapées sont deux à trois fois plus susceptibles de subir des violences que les autres femmes. En Afrique, les chiffres sont alarmants : 83 % des femmes handicapées subiraient des violences sexuelles au cours de leur vie, et entre 40 % et 68 % en souffriraient avant l’âge de 18 ans, d’après Handicap International. Les personnes ayant des déficiences intellectuelles sont quant à elles dix fois plus exposées aux risques de violences.
Les femmes handicapées portent un double fardeau : la stigmatisation liée à leur handicap et des violences accrues. Un fardeau alourdi lorsqu’elles s’engagent en politique, les rendant particulièrement vulnérables. Cet environnement contribue à perpétuer un cycle de marginalisation et d'exclusion dans les sphères décisionnelles.
Face à cette réalité, l’AHADI Foundation a lancé son programme AHADI Community, offrant un espace sécurisé et d’entraide pour permettre à chaque femme handicapée de développer son leadership, de s’émanciper, de participer activement à la vie politique et de défendre les droits qui leur sont trop souvent privés.
Les défis financiers et structurels : Une double barrière pour l'engagement politique des femmes handicapées
Les barrières à l’accès à la vie politique pour les femmes handicapées ne s’arrêtent pas là. Des obstacles financiers et structurels aggravent leur exclusion. Par rapport aux hommes handicapés, elles sont trois fois plus susceptibles d’être analphabètes, deux fois moins susceptibles d’avoir un emploi et deux fois moins susceptibles d’utiliser Internet, ce qui les place dans une situation de vulnérabilité économique accrue. Ces disparités freinent leur capacité à se présenter ou à voter, en particulier face aux coûts élevés associés aux processus électoraux. Les frais de nomination pour candidater, bien qu'ils soient parfois réduits pour les personnes handicapées, ainsi que les dépenses liées aux campagnes, limitent considérablement la capacité des femmes handicapées à se présenter, ces dernières étant souvent plus précaires que les hommes handicapés ou les personnes valides. Le manque de soutien des partis politiques aggrave cette situation en allouant des fonds insuffisants pour leur permettre de mener à bien leurs campagnes. Une femme de Gokwe, au Zimbabwe, citée dans la note d'information d'ALIGN, a déclaré : « Je suis en fauteuil roulant et vous parlez de faire campagne. Comment puis-je le faire sans ressources, sans voiture et sans matériel de campagne ? Il m'est même impossible d'assister à des réunions de consultation et à des rassemblements, et encore moins de faire campagne. » Cette réalité reflète une exclusion structurelle renforcée par l'absence d'infrastructures adaptées et de moyens financiers. Face à ce constat, quelques initiatives visant à réduire ces inégalités ont émergé en Afrique. Au Kenya, 30 % des financements publics des partis doivent être consacrés à la représentation des femmes, des jeunes, des personnes handicapées et d’autres groupes marginalisés. Au Ghana, des propositions ont émergé pour allouer directement des fonds publics aux candidates féminines et réduire leurs frais de nomination. Cependant, malgré les progrès législatifs, ces réformes peinent à être mises en œuvre en raison de l'absence de mécanismes de surveillance, ce qui limite leur impact.
Selon une enquête de Handicap et Inclusion (2024), 75 % des femmes handicapées interrogées n'ont constaté aucun progrès significatif au cours des cinq dernières années pour renforcer leur pouvoir ou leur participation à la prise de décision dans leurs pays. La violence et les barrières systémiques persistantes entrainant une sous-représentation des femmes handicapées en politique. Bien que cet article mette en lumière certains obstacles auxquels les femmes handicapées font face pour accéder au pouvoir, la réalité est bien plus complexe. Des études approfondies sont nécessaires pour offrir une vision plus fidèle de la situation. C’est cette mission qu’assume AHADI Foundation à travers son programme AHADI DATA, et l’élaboration en cours d’un dossier complet qui proposera des mesures adaptées pour améliorer la participation effective des femmes handicapées en Afrique et dans le monde.